8.1.09

29 septembre, dernière frontière, quelque part entre le Chili et l'Argentine

Le douanier m'a regardé droit dans les yeux et m'a demandé si j'avais un produit d'origine végétale dans mon sac. Je l'ai regardé droit dans les yeux et je lui ai dit que non. Quand ils ont fouillé mon bagage, j'ai retenu ma respiration, visage impassible. Je n'avais pas un produit d'origine végétale dans mon sac, j'en avais plusieurs. Au Chili, dont l'économie dépend fort de l'agriculture, il est interdit de faire rentrer des fruits, des légumes, des fleurs, du bois, de la viande, tout ce qui de près ou de loin peut transporter des vilains insectes et des bactéries. Plaie biblique, dont les douaniers doivent conjurer le mauvais sort.

Bref, à la fin de mon voyage, j'étais bourrée de produits illégaux qui risquaient d' exploser au contrôle de la douane. Autour de mon cou, un collier de graines de la jungle du Pérou. Dans ma poche, des pruneaux de Rosario mais là il faut avouer que je les avais moi-même oubliés. Dans ma valise, une calebasse de bois nommée maté, qui m'avait été offerts à Salta, le symbole même de l'amitié. Je savais que s'ils le trouvaient, non seulement ils allaient le confisquer mais en plus ils allaient me coller une belle amende. Mais à la raison d'État, moi j'opposais celle de l'amitié, prête à franchir le pas de la résistance et de l'illégalité. Un peu comme s'il m'était donné de vivre le grand mythe que j'enseignais à mes élèves. Je sais, on fait ce qu'on peut, et je suis bien la première à sourire de mes grands élans clandestins.

Mon sac de routard est passé à la radiographie de la police des frontières et ils n'y ont détecté aucune trace de carottes ou de pommes. Je suis sortie indemne du grand bâtiment qui démarque les deux territoires et le vent froid de la Cordillère est venu mordre mes oreilles. Je regardais la majestueuse montagne enneigée qui m'avait guidé tout au long de mon périple. Et qui m'accompagnait encore dans mon retour au Chili, à Santiago. Mon voyage se terminait là où il avait commencé et j'allais boucler la boucle.

La Cordillère est une frontière entre deux États pas vraiment amis. A force d'antécédents historiques, les Chiliens et les Argentins ruminent des préjugés réciproques. Et pourtant, aux pieds des grands sommets, les hommes sont bien humbles et tous égaux. Qu'est-ce que le pouvoir des plus grands de ce monde en comparaison à la puissance des montagnes?
Paso de los Libertadores, dernière cachet sur mon passeport. Des frontières, il me semble que j'en ai franchies des centaines. Pas seulement celles des estampes qui vont orner les pages de mes papiers officiels. Mais aussi celles, plus indicibles et subtiles, des rencontres, des défis, des valeurs. Mon Dieu, comme j'en ai appris des choses, en quelques mois ou plusieurs vies. Heureux qui comme Ulysse. Mon voyage s'achève, entre mon accord et mon désaccord. Physiquement mon corps réclame le repos, mais mon esprit refuse d'arrêter la dynamique du mouvement et de la connaissance. Pour ne pas clore mon voyage, je vais l'écrire. Écrire pour retrouver le chemin de la mémoire, pour que les mots viennent prolonger mes pas. Un voyage de sang et d'encre, des empreintes jetées sur une feuille de papier et je balancerai mes écrits à l'océan, qu'ils aillent danser sur les flots ivres. Toute fin est un commencement.

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