8.1.09

14 septembre, Salta la linda, Argentina

.










Il était prêt à se battre et même à tuer quelqu'un pour avoir sa place dans le bus qui partait à Salta, en Argentine. Moi pas, j'avais tout mon temps et pas du tout envie de lutter. Heureusement on a eu droit aux deux dernières places, il était tellement content de quitter Arica qu'il a partagé sa joie. Dès qu'il a eu son billet, sa rage s'est transformée en un grand sourire étincelant et il s'est présenté avec un je ne sais quoi de vraiment touchant. Jérémy, trop heureux d'avoir mon ticket qui va me permettre de rejoindre ma copine. Elle est Argentine. Elle est magnifique. Il faut que je la voie.

Rarement ai-je rencontré un garçon aussi amoureux, ou peut-être qui le dit si simplement et si sincèrement. Jérémy l'amoureux. Son amour pour cette jeune fille originaire de Jujuy semblait s'être étendu au territoire tout entier, de la frontière bolivienne à la Patagonie. Et quand il évoquait les montagnes ocres et la colline aux sept couleurs du Nord de l'Argentine, il n'y avait pas de plus beau paysage, pas de plus belle terre à aimer. Avant même de passer la frontière, il m'avait déjà convertie à l'Argentine et convaincue que c'est un pays qui se découvre et se vit avec le cœur.

A Jujuy il est descendu retrouver les bras de sa belle et tendre et moi j'ai continué mon chemin. J'ai remercié le hasard de cette belle rencontre éphémère etcroisé les doigts pour que l'éphémère dure encore le temps d'une belle correspondance. A Salta j'ai sauté du bus, prédisposée à apprécier la ville, puisque Jérém me l'avait décrite charmante et sincère, avec un petit brin d'orgueil touristique. Sauf qu'on ne peut pas dire que j'ai apprécié Salta. Le mot est bien faible, j'ai adoré Salta au point d'y rester plus d'une semaine.

Salta la linda. Elle a poussé à l'horizontale, tapie au fond d'une vallée et ses rues se sont tranquillement ordonnées comme le quadrillage d'un cahier d'écolier. Les arbres qui bordent ses rues, la coupe courte, ne dépassent pas la ligne des toits. Les maisons sont restées humbles et basses, les grands édifices font figure d'exception dans le paysage urbain. Souvent dans les grandes villes, les hauts immeubles te gâchent l'horizon et te donnent un petit bout de ciel ridicule entre deux pans de murs. Ici non. Les rues amples et larges laissent voir un ciel bleu, pur, lumineux. Salta la jolie est une ville ouverte au ciel. A un ciel mystique puisque la ville célèbre pour son pèlerinage croit dévotement en Dieu et en la Vierge Marie. Et l'on y fait des rencontres religieuses et sacrées comme cette vieille dame élégante qui trottine avec une énergie incroyable et qui s'arrête soudain pour me lancer: "Mon Dieu, quel jolis yeux. Quand j'étais à l'école, une de mes amies italiennes avait de magnifiques yeux bleus, exactement comme les tiens. Et je lui disais: avec mes yeux noirs, je regarde le ciel et il est si magnifique. Et quand je regarde tes yeux je vois le ciel. Toi aussi tu as les yeux couleur du ciel, on n'en trouve pas un regard pareil en Argentine. Si tu es à Salta, c'est la Vierge Marie t'a appelé. Quelle bénédiction. Si tu as besoin de quoi que ce soit, j’habite en face du musée folklorique, dans une maison orange."

A Salta, je se suis pas entrer dans un seul musée, je me suis contentée de flâner au hasard des chemins, mon appareil photo à la main. Par hasard, j'ai franchi la porte d'une maison de la culture où avait lieu une conférence sur l'écriture, le féminisme et l'érotisme, thème sulfureux dans une ville si catholique. A côté de moi s'est installé Leandro qui s'est présenté en tant que journaliste, réalisateur de documentaires et acteur de cinéma. Quand je lui ai demandé dans quel film il avait joué, il m'a expliqué ses divers rôles de figuration et j'ai compris qu'il était bien Argentin. Je me suis vite lié d'amitié avec cet intellectualoïde qui avait des théories sur tout, ce grand militant social qui militait un peu tout seul. Il m'a proposé d'aller à la faculté pour un cours sur la théorie de la perception, mais ce jour-là justement c'était la fête des étudiants et il n'y avait aucun cours. Il s'est rattrapé en me faisant visiter une villa, un quartier pauvre où il vaut mieux pas traîner la nuit et où je n'aurai pas été toute seule. Et puis, en parcourant la ville, on a fait un reportage sur les graffitis d'un petit groupe sympa qui avait étalé mai 1968 sur tous les murs. Ou l'utopie c'est ce qu'on a pas encore réalisé.

Que de rencontres improbables et étonnantes m'ont été offertes dans cette petite ville provinciale et paisible... Et bien plus que l'architecture, c'est certainement les gens qui ont façonné ma tendresse pour Salta la linda. Tout raconter serait bien trop long. Mais juste pour le plaisir, je vais nommer quelques têtes qui ont fait de mon séjour à Salta une expérience inoubliable. Petit hommage donc à Soledad, la vendeuse de fromage du supermarché qui m'a invité à son anniversaire. A Sandra qui m'a tiré du lit à 6 heures du matin pour aller déposer dans une armoire tournante une mystérieuse petite prière. A Belen, une des rares Argentines qui n'a pas de préjugés sur les Chiliens. A Achim, l'Allemand au nom de Turc, chauve comme un pou, patron de Los Cardones. Au chat des rues qui voulait pas quitter le paillasson et qu'on finalement baptisé Peron. A Danny, pour son compagnonnage et son amitié. A Cécilia, psychologue de la Plata ou comment s'échapper de la dure réalité. A Nicolas le Danois qui fait le tour du monde à bicyclette. A Ben, français du 93, pour les vappes et la bouteille d'eau laissée sans rien dire. A Pablo, le barbu de Los Cardones qui m'a appris à danser la chacarera. A Fernanda, sa lumière intérieure et son livre de prières à la Vierge Marie que j'ai pas encore lu. A Celeste, dont on a fêté les 21 ans dans un vieux bar d'alcoolique. A tous les membres du groupe de rock Cajale Cazazo qui m'ont adopté pendant trois jours. A Alé, pour le rituel du maté et de l'amitié. A toutes ces rencontres qui ont rendu possible l'impossible.

Aucun commentaire: