11.1.09

11 juillet, Place 25 de Mayo, des rires d'enfants et 50 centavos, Sucre, Bolivie

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Sucre. Après le bouillonnement de La Paz, l'ordre et la tranquillité d'une ville à l'architecture blanche et européenne. Sur la grande et belle place 25 de Mayo, face à la blanche cathédrale et à la préfecture, assise sur un banc, je me repose tranquillement à l'ombre des grands arbres.

- Te lustro tus zapatos? Un boliviano nada más. Deux petites têtes souriantes viennent de se jeter à ses pieds.
- Non merci, je veux pas que tu me cires les chaussures.
- Pero son muy sucios tus zapatos, lo necesitas. Il a pas tort le gamin, mes chaussures sont fort sales, mais..
- Non je te remercie mon petit, pas de cirage de chaussures. Comment tu t'appelles?
- Yo Wilson y el se llama Cecilio.
- Vous avez quel âge?
- Cecilio 7 años y Wilson 9 años. Y tu de donde eres? Where do you come from? Ah tu es
française? Comment tu t'appelles? Comment cela va? Et Wilson me montre toute sa collection de pièces étrangères que les touristes lui ont offertes, et même un dollar américain dont il est tout fier. Je lui apporte ma petite contribution de pesos chilenos.

Le lendemain,sur un autre banc de la place 25 de Mayo, deux petite têtes souriantes se jettent à mes pieds. Mais Wilson et Cecilio ne me reconnaissent pas entre tous les visages étrangers qu'ils ne font que croiser:
- Ah tu es française… Comment tu t'appelles? Tu as des pièces étrangères? Alors je leur rappelle, hier, les pièces chiliennes, çà y est, ils me reconnaissent. Cécilio me fait un petit tour de magie avec des cartes toutes collées les unes aux autres, je lui montre que j'ai compris son stratagème et il rit, il ne peut plus s'arrêter de rire, il en tombe de rire. Je leur offre des petits gâteaux et quelques bonbons et ils s'en vont tout contents.
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Le jour suivant, même banc de la place 25 de Mayo. J'aperçois Wilson qui trottine derrière un quarantenaire en costard cravate. Il propose à l'enchemisé ses services de petit cireur de chaussures, s'assit sur son minuscule tabouret et s'apprête à commencer son travail avec application. Le cadre enchemisé le regarde de haut:
- Combien?
- 1 Boliviano
*, répond l'enfant.
- Non je te donne 50 centavos*.
- Non, c'est un boliviano, pas moins, insiste Wilson.
Et l'enchemisé continue son chemin tournant le dos à l'enfant, qui reste planté là sur son petit tabouret de cireur de chaussures.

De loin, il me reconnaît et s'avance vers moi, fâché. "Il voulait me donner que 50 centavos, faut pas exagérer, c'est un boliviano, pas 50 centavos." Il me regarde fâché et se lance dans un discours qui n'en finit point "qu'il veut de l'argent parce qu'il a faim et rien à manger, le ventre creux". J'ouvre mon sac et lui donne, non pas de l'argent mais un pain. Il est déçu par ce simple bout de pain, le gamin, il entraîne Cecilio par la main, et en me mirant bien droit dans les yeux me balance un joli "fucking sheet." Magnifique insulte en langue anglaise qui fait ricochet dans mon esprit. En face de moi, j'ai vu un gamin d'Armentières.

Il a eu droit à mon premier discours moral en espagnol, je l'ai fixé au fond des yeux et très sereinement, je lui ai parlé comme à un élève: " Wilson, tu me répètes ce que tu viens dire. Jamais je te parlerai comme cela. Et toi je te demande de me parler avec respect." Wilson ne dit plus rien, il est tout penaud et tout silencieux. Le petit Cécilio sort un petit carnet de sa poche et un vieux crayon, et il chuchote: "Qu'est-ce qu'il faut pas faire? Qu'est-ce qui est pas bien? On va écrire ce qui faut pas faire."
Il a raison, le chtit, on va écrire sur le carnet ce qu'il fallait pas faire, et puis aussi on va écrire les nombres, les lettres, les prénoms. On va calculer, conjuguer, corriger avec des dessins tout en couleurs. On va faire comme si la rue était une école, le banc une table, et moi la maîtresse. On va faire comme si les petits cireurs de chaussures des rues de Sucre étaient juste des gamins d'Armentières.

* un boliviano = 10 centimes
50 centavos = 5 centimes
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