8.1.09

26 septembre, Rosario ou le "petit Buenos Aires", Santa Fe, Argentine





A Salta j'ai goûté à l'Argentine et j'y ai pris goût. J'y ai été initiée à la charla, l'art de la conversation qui n'en finit pas, au rituel de l'amitié où tous boivent le même maté, au rock argentin à vocation nationale. Les gars d'une bande de rock jeune et dynamique Cajale Cazazo (http://cajalecazazo.blogspot.com/) avaient élu domicile dans la même auberge que moi et ils m'ont juste adoptée pendant quatre jours. Quatre jours ou quatre nuits je ne sais plus trop, car en Argentine le temps semble s'inverser, la journée commence au crépuscule et se termine au zénith du soleil. La vie, la vraie, étreint l'intensité de l'obscurité et la nuit se déchaîne sur la scène de tous les arts.

Après Salta et ses nuits sans fin, je suis arrivée épuisée à Rosario. Et pour la première de mauvaise humeur. Aux limites de la fatigue, j'étais certaine que le "petit Buenos Aires" n'allait pas me plaire. J'ai posé ma valise dans une auberge de la rue Brown près du fleuve, j'ai pris mon courage par la main et je me suis dirigée vers le rio. Le Parana de couleur cuivre m'a fait songer à l'Amazone, même eau limoneuse et trouble dont on ne voit pas le fond, même amplitude d'un fleuve de plusieurs bras. D'un côté de la rive, de grands édifices modernes à l'architecture débridée et de l'autre, une ligne horizontale et parfaite d'arbres vertes. Rosario avait ce je-ne-sais-quoi de sauvage, ce je-ne-sais-quoi qui me faisait penser à la jungle et à un espace indompté.

Je me suis promenée le long du Parana et le fleuve m'a communiqué quiétude et sérénité. Au Parc de l'Espagne, deux grandes colonnes grecques étaient perchées dans le vide. Deux grandes colonnes qui ne soutenaient rien et qui se détachaient juste de la couleur sombre du fleuve, intrusion absurde de l'Antiquité dans l'espace urbain. A l'ombre du grand portail grec, j'ai senti que la cité avait conquis mon enthousiasme. Et quand j'aime un paysage ou une ville, il y a un signe qui ne trompe pas: je sors mon appareil photo et je cadre.
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Rosario: mine d'or visuelle, espace photographique multiple et hors du commun. Photos en couleurs, le rose violent des arbres ou le blanc fileux des fleurs de coton qui s'amoncellent sur la pelouse, la ligne verte et harmonieuse de l'horizon, les tons terreux du Parana. Photos en noir et blanc, dans les anciens docks du port, où la culture a conquis les vieux dépôts. Sur tous les murs, on déchiffre ces graffitis qui revendiquent plus l'égalité, plus de justice, plus d'amour, on s'interroge sur ces anges à bicyclettes, ces fourmis, toutes ces déclarations énigmatiques. Ferveur de mes pas pour une cité qui se lit et s'écrit sur ses murs, où les mots et les images, les stencils délicats et les tags plus grossiers ont pris possession de l'espace public.

J'ai flirté dans la ville tout l'après-midi et n'ai pas cessé de la photographier, sous toutes les coutures. A l'intérieur, ses maisons plus anciennes, plus basses avaient le vieux style nostalgique de l'Europe. Dans le dense tissu urbain, la foule me frôlait sans me prêter attention. Je n'étais rien pour tous ces visages croisés mais chacun de ces visages était une possibilité de relations. L'anonymat comme première enveloppe de la liberté. Possibilité infinie de se connecter et de se déconnecter, la ville en fourmilière agitée. Le rien et l'infini.

A force d'errer dans ses artères, Rosario m'a guidé jusqu'à la Maison du Tango. Tango. Mystère d'une musique grave et profonde qui ressuscite des mondes perdus, mystère de ces pas qui perdent toute pesanteur terrestre, de ces visages abandonnés à une félicité totale. Sur la scène, un aveugle jouait du bandonéon et chantait d'une voix rauque. Il ne voyait pas mais se déplaçait toujours avec une grande sûreté comme s'il connaissait chaque recoin de la maison. Sur la chaise voisine à la mienne, un petit bout de femme tout souriant, Mariana, a commencé à piailler gaiement.

De conversations en conversations, Mariana m'a entraîné dans une autre milonga, un peu illégale, au 1380 Corrientes. Dans une vieille maison familiale, il n'y a que des jeunes qui dansent simplement, sans spectacle ni exhibition. Je rencontre Paula, Marcos, Carolina et Federico, je sens que cette maison m'accueille en amie et non pas en étrangère. On danse et puis surtout on parle, avec cet art de parler de longues durant et plus encore. Entre les verres de bière, les vies s'ouvrent et se confient. Paula, avec ses deux grandes créoles d'argent qui encadrent un profil grec, épanche sa vie, pose son cœur sur la table et en sort tout ce qui le fait battre et vibrer. Et dans l'intimité des secrets partagés, cette certitude qu'on a toujours été amies même si l'on s'est rencontrées qu'aujourd'hui.

La nuit finit autour d'une guitare, ils chantent à l'unisson des chansons que je ne connais pas mais dont Paula me commente les paroles à l'oreille. On n'applaudit tout doucement pour ne pas réveiller les voisins, mes yeux se ferment malgré moi. Six heures du matin, je rentre à l'auberge Rio Brown, une pluie fine et froide tombe sur les rues de la ville, cela fait six mois qu'il n'a pas plu une seule goutte. Je marche dans les rues de cette ville dont j'ai fait la connaissance il y a quelques heures mais qui m'a déjà tendu le visage radieux de l'amitié.

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