11.1.09

13 juillet, que deux mains pour mendier, Tarabuco, Bolivie

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Niché au milieu des montagnes, le petit village de Tarabuco est fameux pour son marché de tissus andins qui attire les voyageurs de passage à Sucre. Les habitants attendent les touristes pour vendre leur art textile, des tissages d'une finesse incroyable, riches en couleurs, dont tous les dessins renvoient à la représentation de la vie quotidienne, à une vision du monde. Pour mieux vendre, ils ont revêtu leur costume traditionnel, les femmes portent ces grands tissus brodés appelés asqu et une sorte de casque de velours noir avec des petites perles pendantes.

Je n'achète pas grand-chose mis à part un petit bonnet en laine pour le grand froid des Andes, je marche dans ces allées bondées de touristes. Comme j'ai faim, je me dirige droit au marché central, qui est toujours le meilleur endroit pour déguster de bonnes soupes avec les produites frais du matin. Et en plein milieu des étals de fruits, de légumes, de feuilles de coca, je m'apprête à déguster un bon picante de pollo.

Une vieille femme toute ridée s'approche de ma table, plante son regard fatigué dans le mien et me tend une main toute tremblante. "Donne moi de l'argent." " Donne moi de l'argent." Alors comme on dit on peut pas donner tout le temps à tout le monde et moi j'ai juste envie ce jour-là de manger mon poulet tranquillement. "Donne moi de l'argent", répète t'elle. Et plus elle insiste, plus je persiste dans mon refus de donner quoi que ce soit. "Prend moi en photos alors". Et elle me montre son costume traditionnel, son casque noir à petites perles, "Prend moi en photo". Prendre en photo du traditionnel en l'échange d'un pourboire, je persiste et refuse. Elle me supplie: "Invite moi à manger alors". "Invite moi à manger. Juste un petit peu."
Ici je voudrais écrire que j'ai accepté, que je l'ai invité à ma table et à partager mon repas. Mais ce n'est pas le cas. Elle me donnait des scrupules la petite grand-mère, d'avoir autant rien et moi autant tout. Alors j'ai dit non, j'ai signé mon non, je n'avais du tout envie de partager sa misère. Elle est partie et m'a laissé avec mon assiette de poulet. Et avec ma mauvaise conscience.

A côté de la table, un vieil homme tout ridé et tout maigrelet qui fait mal aux yeux reste debout, planté comme un piquet, le regard dans le vide. Je pense qu'il va me demander de l'argent. Pour rattraper ma conscience et mon rejet de la petite grand-mère, je me prépare à lui laisser de quoi se payer le même déjeuner que moi. Mais il reste muet et immobile, et je ne sais comment l'aborder, j'attends qu'il me demande. Mon repas fini, je me lève et ce simple mouvement met fin à son immobilité. Il se jette avec une rapidité impressionnante sur les os de poulet laissés au creux de mon assiette et sur les quelques grains de maïs que j'ai fait tomber par terre. Il ne m'a rien demandé et je suis restée plantée comme une imbécile, avec les quelques bolivianos que je pensais lui donner. Et avec ma mauvaise conscience.
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