11.1.09

15 juillet, au fond des mines de Potosi, Bolivie

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Quand l'agence de tourisme m'a fait signé la décharge "que je me faisais responsable de tout ce qui pouvait m'arriver au fond de la mine, et même de ma propre mort", j'ai signé sans sourciller. Il fallait bien connaître la mine historique de Potosi qui avait enrichi l'Europe coloniale, où des milliers d'indigènes avaient été contraints au travail forcé.
L'agence parlait d'un tourisme d'aventure, quatre heures au fond de la mine, et j'ai immédiatement pensé que le mot aventure était utilisé pour vendre plus. Avec un groupe de touristes à moitié argentin, à moitié européen, je me suis donc enfoncée dans les galeries sombres du Cerro Rico. Et quand on a commencé à souffrir physiquement tous ensemble, j'ai commencé à comprendre pourquoi il était question d'aventure.

On se déplaçait comme des rats dans des galeries fort étroites, mal éclairées, on descendait dans les entrailles de la terre et dans une chaleur toujours plus insupportable. On ne voyait que ce que la petite lampe posée sur notre casque nous permettait de deviner, et puis une poussière blanche, dense et constante, qui nous brûlait gorge et poumons. Pour jouer aux rats de galerie, l'agence nous avait donné un petit bandana de couleur censé filtrer la poussière et qui ne filtrait rien du tout. Pour les mineurs qui eux, ne passent pas 4 heures au fond du trou, mais une vie, l'accumulation de cette poussière se compte en années d'espérance de vie. Par exemple, pour celui qui creuse au marteau piqueur, l'espérance de vie est d'environ une dizaine d'années au fond du trou.
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Dans la troisième galerie, où on était tous à cracher, à tousser, et le guide déclare "on va aller voir un mineur au fond de la 4e galerie" tout en montrant une espèce de trou béant dans le sol. Me connaissant j'ose un point de vue raisonnable avec le peu de voix qui me reste encore"Oui bon moi je pense qu'on est pas obligé d'y aller je vais vous attendre là". Malheureusement, il y avait juste derrière moi deux Argentins. Et un Argentin, même au fond d'une mine et même avec un mal de gorge impossible, ne peut pas s'empêcher de faire des commentaires. Ils ont fredonné la Marseillaise et je suis descendue dans le trou.

Au fond de la 4e galerie, un mineur transpirant à grosses gouttes de sueur tapait sur un pieu afin de pouvoir insérer, deux heures plus tard, un bâton de dynamite dans la roche. Il avait commencé son labeur à l'âge de douze ans; il avait tellement pris l'habitude des profondeurs qu'il disait s'ennuyer à l'extérieur et qu'ici au moins on pouvait s'occuper. Le guide lui a offert les cadeaux des touristes, une bouteille de coca (et pas la bouteille d'alcool à 90 degrés qui se consomme normalement) et un bâton de dynamite.

Descendre dans la 4e galerie m'avait été possible, avec la peur au ventre, mais à la remontée la peur au ventre est devenue panique. Il fallait poser ses pieds non pas sur le dernier barreau de l'échelle, mais sur les deux ultimes poteaux de l'échelle. Et puis croiser les jambes pour mettre le pied droit soixante centimètres plus haut que l'échelle et accéder à la galerie. Et le tout dans une circonférence de trois mètres de vide sur dix mètres de hauteur. Le guide derrière moi m'encourageait: "Vas y monte, les pieds savent, grimpe, grimpe." Moi je restais bloquée sur l'échelle, paralysie totale des membres et du cerveau. Et si un des Argentins qui avait chanté la Marseillaise ne m'avait pas dit : "je t'aide" puis littéralement soulevée comme un bloc jusqu'à la galerie, je serais certainement morte de peur sur une échelle au fin fond des mines de Potosi.
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Jamais je n'ai été aussi heureuse de retrouver la lumière du jour. Jamais je ne remettrai les pieds dans les mines de Potosi. J'avais l'impression d'avoir accédé à l'antichambre de l'enfer, fait partie du monde de Germinal, d'avoir vécu quelques heures de la colonisation et de l'esclavagisme.
Mais les mines de Potosi ne sont ni un mythe, ni un roman et n'appartiennent pas au passé. Les mines de Potosi sont juste une réalité dans laquelle j'avais sombré quatre petites heures et dont je ressortais avec le soulagement de ne plus jamais y retourner. Juste une réalité dans laquelle des hommes et des enfants s'enfoncent chaque jour, à la recherche du filon qui, peut-être, les rendra un peu moins pauvres.
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